Douleurs chroniques de l'épaule: évaluation, causes et bilan

Les douleurs d'épaule représentent un motif très fréquent de consultation, d'autant plus qu'elles peuvent devenir rapidement invalidantes. Les causes sont multiples, les pathologies professionnelles étant particulièrement représentées, notamment lorsque des mouvements répétitifs au dessus du plan de l'épaule sont exigés (peintre en bâtiment, ripeur,...).
Un examen clinique simple et une radiographie sont souvent suffisants pour s'orienter vers les pathologies les plus courantes. Le but de cet article sera d'aborder ces pathologies et de proposer une démarche diagnostique standardisée permettant un "débrouillage" efficace.
Enfin l'examen et le bilan de l'épaule instable ne sera pas abordé ici. L'instabilité douloureuse étant plus rare, elle sera abordée dans un article distinct.
Anatomie
Afin d'appréhender la pathologie douloureuse de l'épaule il est nécessaire de visualiser et comprendre son anatomie, à savoir:
- 3 os: l'humérus, la scapula (ou omoplate) et la clavicule. L'acromion est une expansion de la scapula qui vient s'articuler avec la clavicule.
- 2 articulations: gléno-humérale (entre la scapula et l'humérus) et acromio-claviculaire (entre l'acromion et la clavicule).
- Les 4 tendons de la coiffe des rotateurs: le sus-épineux (ou supraspinatus, abducteur), le sous-épineux (ou infraspinatus, rotateur externe), le petit rond (ou teres minor, rotateur externe et adducteur), le sous-scapulaire (ou subscapularis, rotateur interne et adducteur).
- Le tendon de la longue portion du biceps, qui s'insère dans l'articulation glénohumérale. Le court biceps s'insère sur la coracoïde est ne participe pas à la pathologie de l'épaule.
- la bourse sous acromiale
- les nerfs suprascapulaire et axillaire
Douleurs d'épaule: les causes
Nous nous limiterons aux pathologies de loin les plus fréquentes, à savoir: le conflit sous-acromial, la rupture de la coiffe des rotateurs, l'arthrose acromio-claviculaire, la capsulite rétractile, l'omarthrose (arthrose gléno-humérale).
Le conflit sous-acromial
Il s'agit d'une inflammation des tissus compris dans l'espace sous-acromial: la coiffe des rotateurs, la longue portion du biceps, la bourse sous-acromiale. Anatomiquement l'espace sous-acromial correspond à l'intervalle entre la tête humérale d'une part, l'acromion et le ligament acromio-coracoïdien d'autre part. Les causes sont multiples: diminution de l'espace sous-acromial, acromion crochu, travaux répétitifs bras au-dessus du plan de l'épaule (position dans laquelle l'espace sous-acromial est rétréci),... C'est de loin la première cause de douleurs d'épaule, de 44 à 65% des cas.
rupture de la coiffe des rotateurs
Un ou plusieurs tendons de la coiffe des rotateurs sont rompus. Le tendon sus-épineux est le plus souvent atteint, parfois associé au sous-scapulaire. Chez les patients jeunes la rupture survient classiquement après un traumatisme, tandis qu'ensuite on retrouve volontiers un conflit sous-acromial ancien. En effet à partir de 40 ans la coiffe des rotateurs subit une dégénérescence progressive, tandis qu'après 60 ans le risque de présenter une rupture est doublé. Après 70 ans il n'y a quasiment plus d'indication à réaliser une réparation, la plupart des ruptures s'étant naturellement compensées.
L'arthrose acromio-claviculaire
Il s'agit d'une usure de l'articulation entre la clavicule et l'acromion. Cette arthrose est fréquente, et il n'est pas rare de la découvrir de manière fortuite sur une radiographie chez des patients totalement asymptomatiques (il n'y a bien entendu dans ce cas là aucune nécessité d'intervention), y compris chez des sujets jeunes. Lorsqu'elle devient symptomatique, cette arthrose provoque une douleur centrée sur l'articulation acromio-claviculaire qui aura tendance à irradier toute l'épaule.
La capsulite retractile
La capsulite rétractile, aussi appelée épaule gelée ou encore péri-arthrite scapulo-humérale, correspond à un enraidissement de l'épaule, associé à une importante douleur, sans aucune lésion sous-jacente. Elle correspond à une inflammation suivie d'une rétraction de la capsule articulaire. Bien qu'elle puisse succéder à un traumatisme ou à une pathologie chronique (conflit sous-acromial, tendinopathie de la coiffe des rotateurs,etc...), des formes primaires existent. Il s'agit alors d'un diagnostic d'exclusion, après avoir éliminé une lésion d'épaule sous-jacente ou une douleur d'irradiation.
évaluation d'une douleur d'épaule: Examen Clinique
La plupart du temps un examen clinique systématique associé à une radiographie suffisent à établir le diagnostic.
Interrogatoire
- Durée d'évolution: aiguë (< 6 semaines), subaiguë (entre 6 semaines et 3 mois), chronique (> 3 mois).
- Mode d'apparition: post-traumatique ou insidieuse
- Horaire inflammatoire ou mécanique
- Localisation douloureuse: face latérale de l'épaule irradiant au bras (pathologie de coiffe, conflit), face antérieure de l'épaule irradiant au bras (douleur au tendon long biceps, conflit), diffuse (pathologie arthrosique, capsulite)
- Autres symptômes associés
Examen physique
Contrairement aux usages, il est parfois utile de regarder la radiographie avant l'examen physique. En effet la découverte d'une arthrose évoluée ou autre atteinte ostéo-articulaire permet d'emblée d'orienter le diagnostic et évitera des douleurs inutiles lors de l'examen...
Inspection
L'examen s'effectue patient torse nu, afin de pouvoir rechercher une éventuelle amyotrophie des fosses sus- et sous-épineuse (atteinte évoluée de la coiffe des rotateurs), une asymétrie des omoplates (trouble postural, scapula alata,...), une asymétrie des articulations acromio-claviculaires (antécédent de luxation,...) et plus généralement toute asymétrie entre les deux épaules.
L'inspection de face recherche toute déformation ou asymétrie. Noter ici une saillie acromio-claviculaire gauche témoin d'une disjonction acromio-claviculaire.
L'inspection postérieure recherche notamment une amyotrophie des fosses sus- ou sous-épineuse, une scapula alata, et éventuellement un trouble de la statique rachidienne
Palpation
Plusieurs points sont palpés systématiquement, à la recherche d'une douleur:
- Rachis cervical, les pathologies cervicales étant le plus fréquemment à l'origine des douleurs irradiant à l'épaule
- Articulation acromio-claviculaire: très informatif, un point douloureux à ce niveau oriente vers une arthrose acromio-claviculaire
- Bord latéral de la tête humérale, la douleur étant témoin d'une tendinopathie de la coiffe des rotateurs
- Le tendon du long biceps en avant de l'épaule: avec un peu d'entraînement on le sent très bien rouler sous les doigts. Il est très douloureux en cas d'inflammation et nous oriente vers un conflit ou une pathologie isolée du long biceps
Mesure des amplitudes
Les amplitudes sont mesurées en passif puis actif.
Une épaule raide avec abolition passive et active de la rotation externe signe, en l'absence de toute anomalie radiologique, une capsulite rétractile. L'examen s'arrête alors là, car aucune manœuvre supplémentaire ne pourra être réalisée. Une abolition uniquement active suggère une atteinte du petit rond et/ou du sus-épineux.
Le même raisonnement s'applique sur l'abduction, où une différence majeure entre l'actif et le passif oriente vers une lésion du sus-épineux.
Il est cependant parfois délicat de différencier une limitation d'amplitude active due à la douleur de celle due à un déficit tendineux. A noter qu'une rotation externe passive augmentée par rapport au côté sain peut témoigner d'une rupture complète du tendon sous-scapulaire.
Recherche d'un conflit sous-acromial
Voir notre article sur le conflit sous-acromial
Manœuvre de Neer
Il consiste à reproduire la compression de la coiffe et de la bourse inflammatoires entre la tête humérale et l'acromion. L'examinateur effectue une élévation antérieure passive du bras, avec la main du patient en pronation, tout en appuyant sur l'épaule de l'autre main afin d'éviter une élévation compensatrice de la scapula. Le test est positif lorsque la douleur est reproduite à la face antérieure de l'épaule, et que la douleur diminue main en supination. Il s'agit d'un test très sensible mais peu spécifique.
Manœuvre de Hawkins-Kennedy
L'examinateur tient le bras élevé à 90° d'élévation antérieure, coude fléchi à 90°, puis il applique une rotation interne au bras. Le trochiter vient alors s'accrocher sous l'acromion et reproduit ainsi la douleur. Comme la manœuvre de Neer, cette dernière est sensible mais peu spécifique.
Manœuvre de Yocum
La main du patient côté pathologique est posée sur l'épaule côté sain. Lorsque le patient lève le coude contre résistance, une douleur provoquée signe la positivité du test. Cette manœuvre est à la fois sensible et spécifique.
Testing de la coiffe des rotateurs
Muscle sous-scapulaire
Le muscle sous scapulaire est difficile à isoler car il n'est pas seul à assurer la rotation interne. Par ailleurs suivant la position du bras, différentes fibres du muscles sont sollicitées. Le tableau suivant donne la sensibilité et la spécificité pour chaque test:
Test | Sensibilité (%) | Spécificité (%) |
---|---|---|
Lift-off | 12 | 100 |
Belly press/ Napoléon | 28 | 99 |
Bear hug | 19 | 99 |
Lift-off test
Le patient met la main dans le dos, puis l'examinateur lui demande de décoller la main du dos, coude immobile.
Belly-press test
Le patient place sa main sur le nombril, poignet en extension. L'examinateur demande ensuite d'appuyer sur le nombril: en cas de lésion le patient est obligé de fléchir le poignet pour "tricher"
Napoléon test
Il s'agit d'une variante du Belly-press. Le patient place sa main sur le nombril et doit ramener son coude en avant contre résistance.
Bear-hug test
Le patient amène sa main sur son épaule opposée, tandis que l'examinateur lui oppose une résistance tout en maintenant le coude.
Muscle sus-épineux
Bien qu'il s'agisse du tendon de la coiffe le plus souvent lésé, le supraspinatus est aussi le plus difficile à tester en raison du rôle redondant du deltoïde. Bien qu'imparfait, le test de Jobe est actuellement le seul utilisé en routine.
Test de Jobe
Les deux bras en rotation interne et élevés à 90°. La force est ainsi comparée entre les deux côtés.
Rotateurs externes (sous-épineux et petit rond)
Les muscles infraspinatus et teres minor sont bien plus faciles à isoler car le deltoïde ne participe pas à la rotation externe. De manière globale toute perte de force en rotation externe correspond à l'atteinte d'un de ces deux muscles (l'infraspinatus étant le plus fréquent).
Signe du clairon
Le patient porte la main à la bouche. En cas de déficit du petit rond, il est obligé de lever le coude afin d'y arriver.
Lag sign
L'examinateur porte le bras en rotation externe maximale puis le lâche. En cas de lésion le patient est incapable de tenir la position.
Signe du portillon
L'examinateur demande au patient de réaliser une rotation interne contre résistance puis lâche subitement le membre: en cas de lésion la main du patient vient frapper son nombril. Ceci est dû au fait que les rotateurs externes sont incapables de le retenir.
Bilan d'imagerie d'une épaule douloureuse
Radiographie
Il s'agit du premier examen à réaliser, indispensable pour tout bilan d'épaule.
Le cliché de face permettra tout d'abord de rechercher une anomalie morphologique patente, telle qu'une séquelle d'ancienne fracture. De même on recherchera une arthrose scapulo-humérale ou acromio-claviculaire. L'examen attentif du bord latéral de la tête humérale permet d'identifier d'éventuelles calcifications témoins d'une tendinopathie de la coiffe des rotateurs.
Concernant le cliché de profil, l'intérêt se portera surtout sur la morphologie acromiale, notamment la présence d'un éperon inférieur qui semble être l'élément le plus prédicitif d'une lésion de la coiffe des rotateurs.
Arthroscanner
Actuellement l'arthroscanner est l'examen de référence pour l'étude de la coiffe des rotateurs. Il permet notamment d'analyser finement les ruptures complètes ou partielles. Il en est de même pour l'étude des lésions du bourrelet péri-glénoïdien.
IRM
L'IRM est plus difficile d'accès que l'arthroscanner. Sa sensibilité varie considérablement suivant la puissance de l'appareil utilisé. Cependant sa réalisation est requise pour toute demande de reconnaissance en maladie professionnelle.
Echographie
Il s'agit d'un examen de débrouillage, dont les résultats sont très opérateur-dépendants. Il est rare qu'une décision thérapeutique ne s'appuie que sur la seule échographie.