Entorse scapho-lunaire

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"Entorse du poignet"

Le poignet est une région anatomique complexe constituée de 33 ligaments et 10 os (le radius, l'ulna et les 8 os du carpe). Cet article en décrit l'anatomie osseuse. Ainsi de cette diversité naît une évidence: l'entorse du poignet n'existe pas. En effet, une entorse concerne une articulation particulière. C'est pourquoi le poignet est sujet non pas à une mais des entorses.

La plus fréquente et la plus grave concerne l'entorse scapho-lunaire, entre le scaphoïde et le lunatum. Nous aborderons ici les notions biomécaniques qui permettent de comprendre le mécanisme de cette entorse, ainsi que sa gravité. Puis nous étudierons le diagnostic et la prise en charge de cette lésion.

Biomécanique du carpe

Le carpe est divisé en deux rangées.La première est proximale, la deuxième est distale.

La première rangée (scaphoïde, lunatum, triquetrum) ne reçoit aucune attache tendineuse. De ce fait elle transmet les mouvements au sein du carpe, mais elle n'en initie aucun. Les os qui la composent possèdent d'importants degrés de mobilités entre eux. Cependant lors des mouvements du poignet les 3 os ont un mouvement coordonné grâce aux ligaments qui les unissent. Son articulation avec le radius est appelée radio-carpienne.

première rangée des os du carpe
première rangée des os du carpe

La deuxième rangée (trapèze, trapézoïde, capitatum, hamatum) forme un bloc plus compact, les os étant solidaires entre eux.

deuxième rangée des os du carpe
deuxième rangée des os du carpe

Pour rappel aucun tendon ne s'insère sur la première rangée. Lorsque la main ou le poignet effectue un mouvement, les forces sont transmises en bloc de la deuxième rangée vers la première rangée. En outre 60% sont transmis par le capitatum vers l'articulation scapho-lunaire(1). Enfin la première rangée transmet les forces pour au moins 80% à la radio-carpienne (dont plus de la moitié pour la seule articulation radio-scaphoïdienne(2)).

Répartition des charges au niveau du carpe
Répartition des charges au niveau du carpe

Par effet de levier, lors d'un simple mouvement de flexion/extension du poignet sans résistance, l'articulation radio-carpienne reçoit une contrainte d'environ 25 kg. C'est ainsi que lors des mouvements de force impliquant les doigts, cette contrainte peut monter jusqu'à 520 kg chez les hommes et 310 kg chez les femmes(2).

Lésion du ligament scapho-lunaire: disjonction scapho-lunaire

L'entorse scapho-lunaire survient lors d'un traumatisme violent, avec une chute sur un poignet en hyperextension.

A cet instant la deuxième rangée des os du carpe transmet les contraintes d'hyperextension au scaphoïde. En conséquence, ce dernier sollicite le ligament scapho-lunaire en torsion. Or le lunatum est lui même naturellement contraint par des ligaments radio-lunaires, qui limitent ses capacités d'extension. Ainsi la torsion devenant trop importante, les ligaments scapho-lunaires rompent.

mécanisme du SLAC
mécanisme du SLAC

En hyperextension, les contraintes sont transmises vers le scaphoïde puis le lunatum à travers le ligament scapho-lunaire

Par la suite, le ligament scaphoïde-lunaire étant rompu, le scaphoïde et le lunatum ont des mouvements dissociés. Dès lors le scaphoïde tend à partir en flexion, le semi-lunaire en extension.

Poignet de profil, le scaphoïde étant retiré: avec une disjonction scaphoïde-lunaire, le lunatum tend à l'extension
Poignet de profil, le scaphoïde étant retiré: avec une disjonction scaphoïde-lunaire, le lunatum tend à l'extension

Poignet de profil vu en entier: avec une disjonction scapho-lunaire, le scaphoïde tend à partir en flexion
Poignet de profil vu en entier: avec une disjonction scapho-lunaire, le scaphoïde tend à partir en flexion

Cette désaxation du carpe se nomme DISI (Dorsal Intercalated  Segment Instability). A ce stade, les contraintes se reportent majoritairement sur l'articulation radio-scaphoïdienne, avec de surcroît un scaphoïde fléchi. C'est ainsi qu'apparaît une arthrose: on parle alors de SLAC (ScaphoLunate Advanced Collapse).

Présentation clinique

Il faut noter qu'en aigu la présentation d'une entorse scapho-lunaire est totalement aspécifique. Typiquement il s'agit d'un patient ayant chuté poignet en extension, avec une impotence douloureuse sur radiographies normales. Habituellement la douleur se focalise en regard de l'interligne scapho-lunaire ou en péri-scaphoïdien. Tout œdème ou hématome post-traumatique, sans anomalie radiologique, doit faire évoquer ce diagnostic.

Repère externe du point douloureux et tuméfié lors d'une entorse scapho-lunaire.
Repère externe du point douloureux et tuméfié lors d'une entorse scapho-lunaire.

Suite à cette entorse, le poignet conservera un fond douloureux. Progressivement la force décroît, parfois accompagnée d'une sensation de ressaut sur certains mouvements.

Le test de Watson consiste à placer son pouce sur le tubercule du scaphoïde, et à amener le poignet d'une légère extension en inclinaison ulnaire à une légère flexion en inclinaison radiale. Ensuite l'examinateur retire son pouce: un ressaut douloureux, parfois audible, est perçu en cas d'instabilité scapho-lunaire. Ce test est cependant peu spécifique, notamment chez les hyperlaxes.

Examens complémentaires

radiographie

C'est l'examen de première intention, indispensable. Dans les formes subaiguës (1 à 6 semaines) puis chroniques, plusieurs anomalies sont recherchées:

  • Un diastasis scapho-lunaire.
  • Un signe de l'anneau (image correspondant, de face, au tubercule du scaphoïde sur un scaphoïde fléchi).
  • Un DISI.

En rouge le scaphoïde, en jaune le lunatum. Sur la radiographie de face on visualise ici un diastasis scapholunaire (flèche bleue) et un signe de l'anneau (flèche verte). De profil, l'angle scapholunaire est supérieur à 70° (normale30 à 60°).
En rouge le scaphoïde, en jaune le lunatum. Sur la radiographie de face on visualise ici un diastasis scapholunaire (flèche bleue) et un signe de l'anneau (flèche verte). De profil, l'angle scapholunaire est supérieur à 70° (normale30 à 60°).

Si les clichés standards sont normaux, des radiographies en stress (poing fermé, inclinaison radiale puis ulnaire) doivent être réalisées. Enfin en cas d'imagerie positive il est utile de réaliser des clichés controlatéraux, surtout chez les patients hyperlaxes, afin d'éliminer un faux positif.

Imagerie spécialisée

A ce jour l'arthroscanner est l'examen de référence. En effet il offre une excellente sensibilité et les délais d'obtention sont courts. L'IRM, lorsqu'il est possible de réaliser des séquences T2 en coupes fines, est une bonne alternative.

Classification et traitement

Stade pré-dynamique

La rupture n'est visible qu'à l'arthroscanner. Les radiographies, y compris dynamiques, sont normales. En phase aiguë le ligament est suturable, sinon on optera pour une capsulodèse ou ligamentoplastie.

Stade dynamique

Des anomalies apparaissent aux radiographies en stress. Dans un premier temps il s'agira d'un diastasis scapho-lunaire. Comme précédemment le choix se fera entre une ligamentoplastie ou, si cela est encore possible, une réinsertion ligamentaire.

Stade statique sans DISI

Les anomalies (diastasis, signe de l'anneau) sont à présent visibles sur les radiographies au repos. Il n'y a pas de DISI. Une ligamentoplastie est encore réalisable.

Stade statique avec DISI

Comme son nom l'indique, un DISI apparaît sur la radiographie de profil. Si le DISI est réductible, un ligamentoplastie peut encore être proposée. Sinon une arthrodèse partielle du carpe, type 4 os, sera réalisée.

SLAC (arthrose)

Cet article en détaille la prise en charge. En fonction de l'atteinte on proposera une arthrodèse partielle, une résection de première rangée, ou une arthrodèse totale.

Bibliographie

  1. Viegas S, Patterson R, Todd P, McCarty P. Load mechanics of the midcarpal joint. J Hand Surg Am. 1993 Jan 1;18(1):14–8. [PubMed]
  2. Rikli D, Honigmann P, Babst R, Cristalli A, Morlock M, Mittlmeier T. Intra-articular pressure measurement in the radioulnocarpal joint using a novel sensor: in vitro and in vivo results. J Hand Surg Am. 2007 Jan 1;32(1):67–75. [PubMed]